Ce que la neurodiversité peut apporter à l'école française
juin 2023
Par Kevin Rebecchi , Docteur en Sciences de l'éducation et de la formation,
Auteur de La Neurodiversité aux éditions de L'Harmattan
I/ La neurodiversité, définitions et enjeux
Quand Judy Singer a défini pour la première fois le terme de neurodiversité dans son mémoire de licence de sociologie en 1998, il ne s’agissait pas d’un terme ayant une vocation scientifique, mais plutôt d’explication des dynamiques sociopolitiques en place, et des différents vécus et expériences des personnes autistes entrant dans le cadre du modèle social du handicap (gravé dans le marbre par l’OMS en 2001). Dans ce modèle, le handicap se base sur les déficiences de la personne mais la société et le politique ont la responsabilité de l’inclusion des individus. Ainsi depuis 25 ans, beaucoup de travaux et témoignages ont lieu dans ce cadre précis. Cependant, depuis quelques années, nous voyons apparaître davantage de travaux dans les sciences cognitives portant sur la neurodiversité, et plus particulièrement sur la diversité cognitive que l’on peut définir comme la diversité des processus mentaux et des fonctionnements cognitifs. Ainsi cette dichotomie entre un mouvement sociopolitique pour la reconnaissance des droits des personnes handicapées versus un champ scientifique sur l’identification de différences neurobiologiques et génétiques et leurs origines a fait émerger de nombreux mythes et idées reçues, du communautarisme et l’activisme.
Par ailleurs, la thématique de la neurodiversité fait apparaître de nombreux enjeux et défis scientifiques et politiques au niveau de la santé mentale (certaines personnes neuroatypiques souffrent des différents rejets, stigmatisation et discriminations provoquant des souffrances psychiques), de l’emploi (certaines personnes neuroatypiques font face à un fort taux de non emploi et de discriminations à l’embauche), du handicap (le modèle social du handicap met en lumière les facteurs environnementaux limitant les activités et restreignant la participation à la vie sociale de certaines personnes neuroatypiques), de philosophie politique (concernant les questions de fraternité, d'égalité et de l’éducation de tous les enfants), éducatif (concernant la formation des enseignants et leurs pratiques) et enfin au niveau de la recherche (concernant l’identification et l’analyse des handicaps et des différences neurobiologiques et génétiques).
Enfin, cet intérêt pour la neurodiversité ne cesse de grandir en témoigne le nombre grandissant d’articles scientifiques publiés (Google Scholar laisse apparaître autant d’articles sur la période 2020-2022 que sur la période 2010-2019), les articles de presse (1), les livres (2, 3) publiés mais aussi les différentes pratiques éducatives et professionnelles émergentes en France (4), en Europe (5) et dans le monde (6).
II/ État des lieux
A/ L’inclusion en France : lois, rapports et statistiques
La loi ° 2013-595 du 8 juillet 2013 d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République a modifié l’article L. 111-1 du code de l’Éducation pour ajouter que « Le service public de l'éducation (...) veille à la scolarisation inclusive de tous les enfants, sans aucune distinction » et l’article indiquait en annexe qu’il « convient aussi de promouvoir une école inclusive pour scolariser les enfants en situation de handicap et à besoins éducatifs particuliers en milieu ordinaire ». Ainsi, à travers ce travail, le Gouvernement s’est déclaré « déterminé à faire de l'école inclusive l'école du 21e siècle » (7) et la loi propose notamment de développer la « formation des enseignants, la coopération entre l’éducation nationale et les établissements et services médico-sociaux et la formation aux outils numériques des élèves accueillis au sein des établissements et services médico-sociaux » (8). Entre 2014 et 2017, les UEM-A (Unités d’Enseignement en Maternelle pour enfants Autistes) et les UEEA (Unité d’Enseignement en Élémentaire Autisme) ont été créés sur le modèle de « des classes des établissements médico-éducatifs (IME) implantées dans une école ordinaire » (9).
En outre, en avril 2022, l’inspection générale des finances et l’inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche ont publié un rapport « Scolarisation des élèves en situation de handicap » proposant 12 recommandations (notamment sur les AESH et la MDPH). Aussi, en août 2022, Claire Hédon, la Défenseure des droits, a publié un rapport « L’accompagnement humain des élèves en situation de handicap » où elle proposait 10 recommandations pour améliorer l’accueil et l’accompagnement des enfants handicapés à l’école (formation des enseignants, aménagements scolaires, outils d’évaluation des politiques...) (10). Enfin, en décembre 2022, le Sénat a adopté proposition de loi contre la précarité des AESH (11) et a créé un groupe d'études handicap pour « renforcer le suivi des politiques publiques en matière de handicap » (12).
En définitive, à la rentrée 2022, la politique intégrative et inclusive française concernait 430 000 élèves en situation de handicap accueillis dans les établissements scolaires, 67 000 élèves scolarisés en établissement hospitalier ou en établissement médico-social et 10 272 dispositifs d'unités localisées pour l'inclusion scolaire (ULIS) (13). Cependant, derrière tous ces chiffres et l’argent dépensé, la réalité est parfois toute autre (14).
B/ L’inclusion dans le monde : les bonnes pratiques
1) La conception universelle de l’apprentissage
La conception universelle de l’apprentissage (CUA) (Universal Design of Learning) et permet de créer un cadre éducatif adapté à toutes les différences individuelles en se basant sur la multiplication et diversification des moyens d’action et expression (développement moteur, langagier et cognitif), de représentation (travail autour de la compréhension et des perceptions) et d’engagement (développement de la motivation, de la détermination et de l'autorégulation) (15) pour développer l’autonomie des élèves.
En France, l’académie de Clermont-Ferrand s’est déjà emparée de la question et a publié des ressources sur la thématique en 2021 (16). En Europe, le Programme Erasmus+ de l'Union européenne a publié dès 2016 un guide sur la CUA comprenant sept lignes directrices (définir des visions et stratégies claires, valoriser tous les partenariats, moderniser l'enseignement et l'apprentissage et repenser les programmes, revoir les méthodes d’évaluation...). Le concept et les pratiques se développent aussi au Québec (17) et en Nouvelle-Zélande où la CUA est notamment intégrée dans le curriculum de l’école maternelle (18, 19).
2) Les approches pédagogiques alternatives
Les principes pédagogiques inspirés de l’Éducation Nouvelle peuvent aussi permettre une meilleure accessibilité éducative aux enfants au développement atypiques et un meilleur accueil de tous les enfants au sein d’une même structure. Parmi ces principes nous pouvons citer l’apprentissage actif (par l’action, l’expérimentation, la résolution de problèmes), un environnement adapté, l’éducation à l’autonomie intellectuelle (développement de la pensée critique), la transmission des valeurs et principes de responsabilité, de participation, de socialisation, de démocratie, de paix et de mixité, la mise en place de projets pour développer la collaboration et le respect, l’encadrement par un adulte qui a un rôle de guide et de facilitateur, une éducation qui prend en compte les dimensions émotionnelles, culturelles, physiques, sociales, cognitives et spirituelles du développement et enfin le respect du rythme, des intérêts et des spécificités de tous les enfants.
On observe ainsi que certains cadres, comme les pédagogies Reggio Emilia (20) et Montessori (21), l’instruction en famille et le unschooling (22) ou encore l’éducation dans la nature (23), ont le potentiel d’offrir des expériences pédagogiques accessibles et positives (24) aux enfants autistes (25, 26), dyslexiques (27) et TDAH (28, 29, 30).
III/ Propositions
Afin d’améliorer la situation pour tous les élèves, quelles que soient leurs particularités, classes sociales et origines, quelques mesures simples pourraient être adoptées :
- Repenser le préscolaire et l’école maternelle en basculant vers le modèle du jardin d’enfant d’Europe du nord (Danemark, Suède, Finlande) en faisant collaborer des professionnels formés à l’enseignement (professeurs des écoles) et au développement typique et atypique de l’enfant (éducateurs de jeunes enfants) pour favoriser à la fois les apprentissages, le développement global et le bien-être des enfants.
- Rééquilibrer les dépenses entre le primaire et le secondaire (on observe par exemple que la Finlande et la Suède dépensent moins pour le secondaire que le primaire alors que la France dépense 50% en plus pour le secondaire (31), que le Danemark dépense 7,75% de son PIB pour l’éducation, la Suède 7,64% et la Finlande 6,27% contre seulement 5,41% pour la France (32, 33), et que la France ne dépense que 7897,5€ par élève contre 13864€ en Suède et 18167€ en Norvège (34)) afin d’améliorer les résultats scolaires dans les tests internationaux, réduire les inégalités sociales et repenser les environnements pour favoriser l’accessibilité scolaire.
- Mettre en place de politiques familiales, scolaires, universitaires et professionnelles globales favorisant l’accessibilité, la réussite de tous les élèves, l’intégration socio-professionnelle et l’autonomisation de tous les adultes. Cela pourrait prendre de nombreuses formes : former l’ensemble de la communauté éducative à la conception universelle de l’apprentissage, faciliter administrativement le développement d’approches pédagogiques alternatives, développer des MOOC pour former et sensibiliser les professionnels et le grand public, simplifier les démarches administratives pour la mise en place de partenariats écoles/laboratoires de recherche et fléchage de financements sur les pédagogies alternatives, ajouter des enseignements d’éducation domestique (35) et de compétences professionnelles dans le primaire et le secondaire afin de favoriser l’autonomie de tous les enfants.
(2) https://www.epflpress.org/produit/972/9782889153480/neurotribus
(3) https://www.editions-harmattan.fr/livre-la_neurodiversite_kevin_rebecchi-9782140278891-73770.html
(6) https://www.ey.com/en_jp/news/2022/06/ey-japan-news-release-2022-06-29
(7) https://www.gouvernement.fr/action/l-ecole-inclusive
(8) https://www.gouvernement.fr/action/l-ecole-inclusive
(9) https://ecole-et-handicap.fr/dispositifs-daccueil/unite-denseignement-en-elementaire-autisme/
(10) https://www.defenseurdesdroits.fr/sites/default/files/atoms/files/aesh-2022-num-access.pdf
(12) https://informations.handicap.fr/a-premier-groupe-etudes-handicap-senat-34129.php
(13) https://www.education.gouv.fr/la-scolarisation-des-eleves-en-situation-de-handicap-1022
(15) http://udlguidelines.cast.org
(16) https://www.ac-clermont.fr/conception-universelle-de-l-apprentissage-122072
(17) https://pcua.ca
(18) https://inclusive.tki.org.nz/guides/universal-design-for-learning/
(20) https://www.amazon.fr/Reggio-Emilia-pédagogie-innovante-enfance/dp/B088Y8NHFD/
(21) https://www.amazon.fr/gp/product/B08XZ44L4V/
(22) https://www.amazon.fr/gp/product/B09N29CRGV/
(23) https://www.amazon.fr/Éducation-dans-nature-écoles-forêt/dp/B08W6P2L9B/
(24) https://link.springer.com/article/10.1007/s42322-022-00096-z
(26) https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/14729679.2022.2115522
(31) https://read.oecd-ilibrary.org/education/education-at-a-glance-2020_69096873-en#page282
(32) https://fr.countryeconomy.com/gouvernement/depenses/education